Malgré le manque de temps, je n’ai pu réfréner mon appétit et j’ai dévoré quelques ouvrages avec plus ou moins de plaisir. Mais comment en rendre compte alors que je suis retenue entre le travail et une dissertation qui ne veut pas se laisser apprivoiser ? J’ai donc mis de côté mes petits résumés pour uniquement savourer mes lectures. Cependant, sans grande prétention, je fais une petite pause pour me livrer à quelques rapides impressions.
Parmi toutes les sorties littéraires de la rentrée le choix est difficile. Comment découvrir de nouveaux phénomènes quand le portefeuille se refuse à cracher autant de mirifiques billets que les éditeurs des « événements » ? Il nous reste dans ce cas les livres de poche pour se nourrir. Meilleurs marchés, même si on accuse un train de retard sur les découvertes médiatiques. Mais qu’importe le chemin est personnel ; une relation intime entre l’ouvrage et son lecteur. Dans cet article, vous ne trouverez donc pas les échos des prix littéraires mais un itinéraire désordonné d’achats compulsifs.
Bon avouons… J’ai tout de même succombé aux sirènes des sorties de la rentrée : hop ! J’ai vite glissé dans mon panier Le Silence de Mahomet de Salim Bachi. Et en une bouchée, il est digéré ; jolie dégustation. Je ne sais pas si Mahomet a ainsi vécu, si l’objectivité est au rendez-vous mais qu’importe, c’est un roman ! Et un récit magistralement mené. Quatre narrateurs : Khadija, sa première femme, Abou Bakr son meilleur ami, le grand général Khalid et sa très jeune épouse Aïcha. Ces regards successifs reconstruisent la destinée du prophète mais surtout lui redonnent l’humanité, qui lui avait été volé par tous les farouches religieux ; un homme avec ses failles, ses espoirs, des désirs, un homme qui oscille entre sagesse et cruauté (oui, il y a de la cruauté et de l’injustice chez Mahomet ! Et pourquoi en serait-il autrement quand on sait qu’il a massacré ses opposants mais aussi ses premiers soutiens qui ont refusé de se soumettre : les juifs de Médine. Mahomet est bien un homme politique, un fin stratège qui rêvait avant tout de transformer des tribus en un groupe uni et conquérant. La religion reste là encore une magnifique manœuvre !). Et si le charme opère, on ne peut oublier son opportunisme. Dieu arrive toujours au bon moment pour lui souffler quelques versets pour arranger ses petites affaires : les grandes manœuvres politiques comme les petites « baisades »… Mais cette lecture reste toute personnelle et jamais Salim Bachi n’est intervenu pour nous guider. Tout en retrait, il transfigure l’image d’un prophète en Mahomet, l’homme ! Un style classique et une narration maîtrisée mais qui ne retire rien à sa qualité. Un récit polyphonique et humain en conclusion !
Le recueil de nouvelles de Victoria Lancelotta, En ce bas monde est amer en bouche. Ces quelques récits révèlent des histoires intimes sans grandes envergures mais dont le lecteur ne ressort pas indemne : une intrusion qui met mal à l’aise. Les personnages ne sont pas loin de la norme, mais non ! Ils ont tous quelques choses qui clochent… Et je suis restée bouche bée à chaque dénouement car Victoria Lancelotta maîtrise l’art de la nouvelle : l’évocation d’un instant clé, décisif ou absurde resserré autour d’une tension que la chute ne résout jamais !
L’amour est très surestimé de Brigitte Giraud est une petite gourmandise, agréable même si mon horizon d’attente fut quelque peu déçu : la tension suggérée par l’accroche n’est pas au rendez-vous. Je reste donc sur ma faim. Une nouvelle mérite tout de même un petit clin d’œil : « L’été de l’attente » parce que oui, « tuer n’empêche pas d’être en deuil » !
Cendrillon de Eric Reinhardt : nouveau registre… Et sans préméditation me voilà plongée dans le monde de la haute finance. Et tout était déjà là ! Même si mon esprit reste totalement hermétique aux systèmes des « hedge fund », que n’importe quelle description n’arrive pas à connecter les fils de la compréhension, un petit rire me secoue : quand Eric Reinhardt a-t-il écrit ce roman ? Il y a quelques années… Et pourtant tout est là ! Une petite pichenette et tout peut s’envoler sur fond de scandale ! Mais on n’en est pas encore là, ici c’est le roman et le dysfonctionnement de la spéculation n’a pas encore éclaté… nous n’en sommes qu’à montrer du doigt des destins singuliers et non l’échec de tout un système. Mais nulle inquiétude : Cendrillon ne tourne pas uniquement autour de la bourse. Construction originale autour des doubles de l’auteur, le cloaque rejoint la réalité sans jamais se confondre. Un seul reproche : pourquoi un tel ressentiment envers un pseudo groupe de la « gauche intellectuelle » ? Une sorte d’ « autorité culturelle de gauche » qui ferait la loi sur le monde des lettres ! Un complot pour préserver l’ordre établi ! J’espère que Eric Reinhardt a ici assez d’auto-dérision pour se moquer de ses fantasmes. Surtout que Carla Bruni s’avère aujourd’hui bien loin d’être une muse berceuse de la gauche ! Et quant à cette phrase : « Le libéralisme il s’en fout que vous soyez issu des classes moyennes ou de la grande bourgeoisie… L’économie de marché elle s’en tape que vous ayez été élevé à Clichy sous Bois plutôt qu’à Saint Sulpice… ». Effectivement, elle s’en fout : elle vous écrase ! Sauf que la logique du libéralisme, au-delà du fait que chacun peut soi-disant faire fortune, c’est savoir détruire, asphyxier son voisin pour faire gagner toujours plus d’argent. Tout ce que j’ai pu découvrir dans ce roman, c’est justement cette propension du capitalisme libéral à étouffer l’humain sous le profit ! L’idéologie de gauche n’est pas un mensonge : elle peut nous donner l’espoir de réussir dans le respect de tous. Hélas, pour moi je suis trop attachée à ses valeurs pour comprendre où Eric Reinhardt a voulu en venir et j’espère vraiment que tout ça n’est qu’ironie et littérature.
Bon même s’il me reste encore quelques délicieuses lectures à partager, il me faut revenir à la raison et revoilà ma dissertation !
Le silence de Mahomet, Salim Bachi, Gallimard, 2008
En ce bas monde, Victoria Lancelotta, 10/18, 2008
L’amour est très surestimé, Brigitte Giraud, J’ai lu 2008
Cendrillon, Eric Reinhardt, Livre de poche, 2008