Guidée par un besoin de fantaisie et le souvenir de l’Ecume des jours, je me dirige vers cette pétillante couverture verte : L’herbe rouge (je suis d’ailleurs surprise du choix de la couleur : verte comme l’herbe ! Mais l’herbe n’est-elle pas rouge ?). Le synopsis promet quelque peu le sourire : « absurde » ; « un savant qui a inventé une machine » (une machine improbable), « humour noir » ; « invention burlesque » ; cependant la mise en scène promet réflexion et retour sur soi puisque cette fameuse invention permet au protagoniste de revivre son passé mais aussi ces angoisses. Sans entrer dans l’étude stylistique de la langue de Boris Vian, sa lecture s’anime au gré des néologismes, des jeux de mots et de phonétiques : c’est donc, dans mon souvenir, une écriture vivante et les mots sont déjà romanesques. C’est donc plein d’attente que j’entame ce petit roman.
Pleine de bonne volonté, je retrouve dès les premières lignes, cet univers si particulier à Vian. Que dire sur ce monde fantaisiste ? Son charme réside dans les improbables associations de mots, de personnes, de choses, que Boris utilise dans ses descriptions et récits. Il en va ainsi d’une herbe rouge ! Les mots à eux seuls sont sources d’imagination. Comment citer le texte sans dénaturer l’onirisme lexical ? Un extrait suffit-il à rendre compte de cet émerveillement : « Le ciel, assez bas, luisait sans bruit. Pour le moment, on pouvait le toucher du doigt en montant sur une chaise ; mais il suffisait d’une risée, d’une saute de vent, pour qu’il se rétracte et s’élève à l’infini… » ? Jouer avec les sonorités et les évocations des mots suffit à rendre tout le sens à ces élucubrations verbales : « touchotter », « bigeotter » ou « lichotter ». La langue devient donc chez Boris Vian un univers à part entière, dont la vie se renouvelle à travers de multiples inventions lexicales.
Au-delà de cette effervescence du style, il a bien fallu se plonger dans le récit. Si on s’attend à une petite histoire sympathique, on va vite déchanter. Effectivement au-delà de l’aspect ludique de l’écriture, l’action apparaît quelque peu angoissante. Difficile à exprimer, mais dès l’incipit on ressent un malaise face à cette invention et aux personnages. Si l’on se plonge dans les champs lexicaux avec quelque attention, on retrouve effectivement l’aspect inquiétant du récit : « bordée d’ortie bifide » ; « La machine, à cent pas, charcutait le ciel de sa structure d’acier gris, le cernait de triangles inhumains » ; ou encore le personnage Saphir Lazuli comparé à un «gros hanneton cachou ». L’action du roman se concentre autour de deux couples : Wolf, l’inventeur de la machine et sa femme Lil ; Saphir Lazuli et sa compagne Folavril ; et d’un animal domestique le sénateur Dupont et son ouapiti. Dès l’annonce des patronymes, on relève la polysémie inhérente au récit. Les deux protagonistes masculins sont soumis à une angoisse allant crescendo : son invention exerce sur Wolf une fascination malsaine et Saphir est poursuivi par un double noir qui n’est pas sans rappeler celui d’Alfred de Musset (Nuit de Décembre). Face à ces deux hommes inquiets et au comportement destructeur leurs deux compagnes apaisent le récit mais sans résoudre l’angoisse de cet univers. Roman truffé de multiples références culturelles, L’herbe rouge se dévoile par intermittence et par un jeu de piste polysémique.
L’herbe rouge, Boris Vian, Le Livre de Poche 2007
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